Quand on est photographe dans l’âme et qu’on pratique une activité professionnelle autre pour gagner sa vie, on voit toute la journée des images qui nous passent devant le nez. Ce n’est pas facile de pourvoir attraper son boîtier ou ne serait-ce son téléphone pour attraper ces images au vol. Il faut pouvoir tout en étant concentré sur la tâche à effectuer pour sa profession rémunératrice, arriver à se mettre dans la position du spectateur preneur d’images…
Pas si simple, voir quasi impossible. Une bonne manière de se faire des nœuds au cerveau et à l’énergie mise en œuvre pour chacune des activités. C’est un bon moyen de mal faire son boulot et rater ses photos.
Cela fait quelques années que je m’emploie à m’essayer dans cette discipline, sans réel succès je l’avoue. Être multi tâches dans des activités diamétralement opposées est un véritable exercice qui demande de la concentration de la rigueur et à la fois savoir s’écouter quand le moment et les images se présentent.
La lumière vient de passer … je suis frustré, 15 minutes plus tôt sur le toit les conditions étaient exceptionnelles. J’attrape mon réflex et la télécommande de la grue pour avancer le travail. Je n’ai que quelques secondes de battement entre les manœuvres, je me place, observe et déclenche.
L’anticipation est très importante, le placement primordial et la réactivité doit suivre, le tout rythmé par les bruits liés au travail. Bruit de moteur, cloueurs et compresseur s’entremêlent ainsi que les communications liées au tâches et autres appels à faire attention. C’est bruyant, énergique. Les gestes sont précis, les déplacements attentifs, le ballet est en marche.
Mon cerveau se focalise de nouveau sur le chantier et délaisse la photo pour un instant, le boîtier en bandoulière je me déplace et approvisionne les collègues. L’image se présente, sans lâcher la commande de la grue j’attrape le boitier et déclenche, en ayant 90 % de mon attention sur ce paquet de voliges. Je lâche la grue pour rejoindre l’équipe . Sous mon bras l’appareil me suit.
Doucement, je me rassure et reprend confiance. Je suis fatigué, ça fait longtemps que je tire sur la corde et j’ai tendance à m’oublier, ne pas m’occuper de moi…Allez! en avant le boulot m’appelle. Je douterai plus tard. J’ai des taches à exécuter. Je vois la fin du chemin et du chantier aussi, le dur est passé les gestes sont plus précis. Le moral revient, il en reste malgré tout une certaine fragilité. Je sens que je suis au bord du gouffre et que le sol n’est pas stable…La journée se termine, je suis content qu’elle s’achève. Demain sera un autre jour.
Je relâche doucement ma concentration intense nécessaire à la pratique de deux choses en même temps. Retour sur le travail. La suite me permettra tout de même de faire quelques images supplémentaires …Une journée de plus sur les chantiers.
© Laurent Loubet, texte et photos
22 juin 2019.
C’est déjà la troisième semaine sur ce chantier. Le matin le rituel c’est installé, le départ est donnée pour 6h30 ça pique…mais la route est belle et ces 20 minutes de trajet permettent un retour progressif au boulot. Les journées sont longues et les semaines intenses. Les organismes sont mis à rude épreuves, les nerfs aussi… Les caractères se révèlent, c’est ça le travail d’équipe. On passe nos journées ensemble, nos soirées aussi dans ces semaines de déplacement. L’ambiance est bonne et les rapports se font en bonne intelligence. Malgré tout, avec la fatigue et les températures caniculaires, le capital patience diminue.
Avec la fatigue, il faut tenter de rester prudent et se concentrer sur la sécurité ( une main pour l’homme et une pour le bateau, comme on dit en mer). Les taches sont plus difficiles et les paroles moins entrainantes. Les blagues sont comme les jambes, plus lourdes. La tension est monté d’un cran, l’objectif est de terminer à la fin de la semaine et le moindre petit détail oublié ou une coupe raté peuvent le compromettre. Tout le monde est fatigué et la lucidité nous quitte progressivement. C’est dans ces moments que les paroles explosent et la tension monte en flèche de façon disproportionné. Je peine à prendre du recul, j’a une sensation bizarre. Comme si tout mon savoir faire s’évaporait, que ces gestes répétés des milliers de fois, ces détails techniques maintes fois éprouvés ainsi que mes méthodes de travail acquises depuis plus de dix ans n’existaient plus. .. Le doute s’installe et tout fous le camp. Le sentiment de devenir idiot et incompétent…ça me tord les boyaux et me fait tourner la tête.
Pas le temps de m’apitoyer sur mon sort, il faut avancer. Toutes ces idées négatives et dévalorisantes me collent pourtant au basques. Elles prennent de la place et me persuadent qu’il faut vraiment que j’arrête ce métier ou du moins que je commence à faire autre chose pour payer mes factures. Plus mes pensées vont dans ce sens, plus il est difficile de voir le positif. Je ne vois plus que le négatif chez moi, mes incompétences. Le système d’éducation français ne serait-il pas loin? Lui qui souligne en rouge tout ce qui ne va pas mais qui oublie de mettre en avant le positif? Bon, les bancs d’écoles sont bien loin aujourd’hui pour moi, j’arrête de me chercher des excuses, mais retrouver de la confiance et débloquer le cerveau ce n’est pas si simple…L’amour propre est touché, la fierté bien cabossé…
Doucement, je me rassure et reprend confiance. Je suis fatigué, ça fait longtemps que je tire sur la corde et j’ai tendance à m’oublier, ne pas m’occuper de moi…Allez! en avant le boulot m’appelle. Je douterai plus tard. J’ai des taches à exécuter. Je vois la fin du chemin et du chantier aussi, le dur est passé les gestes sont plus précis. Le moral revient, il en reste malgré tout une certaine fragilité. Je sens que je suis au bord du gouffre et que le sol n’est pas stable…La journée se termine, je suis content qu’elle s’achève. Demain sera un autre jour.